Sylla Académie

Bruno Diatta, il fallait vraiment l’honorer de son vivant

Il y a juste deux semaines, j’ai vu passer sur Facebook un post auquel j’avais immédiatement réagi. Son auteur montrait une photo de Bruno Diatta, avec un petit texte qui disait ceci : “Pensons à honorer cet homme”. Mon commentaire ramassait l’idée que l’on attendra malheureusement  sa mort, ce qui est bien dommage au Sénégal. Je ne peux alors m’empêcher de partager mon sentiment.

Bruno Diatta

Du Président Léopold Sédar Senghor au Président Macky, en passant par les Présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, Bruno Diatta aura fait preuve d’une loyauté légendaire à l’Etat du Sénégal. Il a sans doute battu un record en termes de longévité et de légitimité qu’un fonctionnaire peut espérer puisqu’il aura passé plus de quarante années au service du protocole du gouvernement sénégalais, sans faire parler de lui dans un quelconque scandale. Hélas sans avertir, il s’en est allé,ce vendredi 20 septembre 2018, laissant derrière lui un peuple qui se souvient, félicite et honore dans les médias et à titre posthume. Alors que le peuple s’approprie les meilleurs superlatifs pour saluer les exploits de cet homme à la discrétion remarquable, il importe aussi de réfléchir.

Pris par l’émoi qui s’est emparé d’eux à l’annonce de la disparition de Burno Diatta, les hommes politiques sénégalais ont aussi rivalisé d’ardeur pour lui rendre hommage. “Conscience professionnelle”, “sens de la responsabilité”, “générosité”, “courtoisie”, “longévité”, “loyauté”, “discrétion”, “rigueur”, “patriotisme” et autres, les expressions n’ont pas manqué pour qualifier cet illustre commis de l’Etat. Nul doute qu’ils ont dit vrai sur ce monsieur, d’autant plus que c’est le peuple tout entier qui s’est montré unanime quant au caractère vertueux et à l’élégance du défunt. C’est justement pour cette raison qu’il fallait honorer Bruno, alors qu’il était en vie. Mais au Sénégal, la pratique est tout autre, frôlant l’hypocrisie et la mesquinerie par moment. Feu Doudou Coumba Rose nous l’avait rappelé.

Il relève d’un chantier herculéen d’essayer de dénombrer les posts partagés dans les réseaux sociaux par des sénégalais et sénégalaises peinés d’apprendre la mort de Bruno Diatta. En renonçant à cette entreprise, l’enseignement capital que je choisis de retenir est très simple : les Sénégalais sont toujours imbus de valeurs et vouent un grand attachement aux hommes et femmes qui font preuve de vertu ; ceux et celles qui aiment et respectent leur travail, honorent leurs engagements, s’acquittent de leurs responsabilités, en toutes circonstances et dans le respect des lois et règlements qui encadrent l’exercice de leurs fonctions et la vie en société.

En renonçant à faire décoller son avion alors qu’il était en roulage, le Président de la République Macky Sall a fait preuve de respect à l’âme de son proche collaborateur. J’ai d’ailleurs du mal à imaginer la douleur que lui et son entourage ressentent en ces moments difficiles. Mais je ne peux m’empêcher de songer aux questions qu’ils peuvent se poser face à cette perte qui n’a presque rien d’ordinaire. En effet, si à 70 ans révolus, M. Diatta a été maintenu en activité, deux hypothèses me viennent à l’esprit. La première est qu’il était redoutablement efficace et rompu à la tâche qui lui incombait depuis le Président Senghor. Mais ce n’est pas une raison suffisante pourrait-on se dire. Alors, la deuxième hypothèse stipule que les autorités ne lui avaient pas trouvé un remplaçant, ou du moins un successeur du même calibre. Quoi qu’il en soit, la consternation est manifeste. Du temps du Président Senghor, le regretté Bruno Diatta lui-même était adjoint avant de succéder à Cheikh Lèye, Ambassadeur et premier chef du protocole du Sénégal. C’est cela la continuité de l’Etat qui marque les esprits même durant ces moments d’émotion. Je ne doute aucunement que la relève sera assurée. Nous y avons intérêt et ce pays regorge de diplomates abreuvés à la même source de dignité que feu Bruno Diatta. Mais nous aurions aussi dû penser précocement à ce jour inéluctable. Cela nous aurait permis alors d’honorer Bruno devant Dieu et devant les hommes, tout en veillant à céder davantage de places à tous ces jeunes diplômés de nos universités, écoles et instituts qui chôment durablement tandis qu’ils ne demandent qu’à servir, eux aussi, leur pays.

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