Gaindesat-1A

Lancement du satellite Gaindesat-1A par le Sénégal : Au-delà de l’euphorie, qu’est-ce que cela implique ?

Le lancement du premier satellite sénégalais, Gaindesat-1A, le 16 août 2024 à 18h 45, a été célébré comme un moment historique pour le Sénégal. C’est tout à fait légitime dans la mesure où cet évènement marque l’entrée de notre pays dans le club très restreint des nations africaines disposant de capacités spatiales. Cet accomplissement mérite donc indéniablement d’être célébré.

Ce projet de satellite, baptisé Gaindesat-1A, représente une avancée technologique significative pour le Sénégal. Conçu en collaboration avec le Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM) et lancé depuis la base de Vandenberg en Californie à bord de la fusée Falcon 9 de SpaceX, dans le cadre de la mission Transporter 11, Gaindesat-1A est le fruit de plusieurs années de travail acharné.

Ce satellite a pour missions principales la collecte de données essentielles pour le pays, notamment pour la gestion des ressources en eau, l’amélioration des prévisions météorologiques, et la surveillance des lacs et cours d’eau. En outre, il jouera un rôle crucial dans la gestion des catastrophes naturelles, la surveillance climatique, ainsi que dans la cartographie et la géolocalisation, renforçant ainsi l’indépendance du Sénégal dans l’observation et la gestion de ses ressources naturelles.

Il convient ici de féliciter toutes les équipes qui ont travaillé sans relâche pour faire de ce rêve une réalité. En particulier, le rôle crucial de notre collègue, le Pr Gayane Faye, Directeur du Programme Spatial Sénégalais (SENSAT) et coordinateur du projet Gaindesat, mérite d’être souligné. Titulaire d’un doctorat en télédétection spatiale obtenu à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en collaboration avec l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, Pr Faye a consacré des années de sa carrière à la recherche et à la formation d’une nouvelle génération d’ingénieurs sénégalais dans le domaine spatial.

Sous sa direction, le Sénégal a non seulement réussi à concevoir et lancer son premier satellite, mais il a également posé les bases d’une industrie spatiale naissante qui pourrait jouer un rôle clé dans le développement technologique et scientifique du pays.

Nonobstant, au-delà de l’euphorie nationale voire continentale, il convient aussi d’impulser un débat serein et stratégique. En effet, ce succès suggère une série de questions cruciales sur les implications réelles de cette avancée technologique pour le Sénégal.

Gaindesat-1A

Voici quelques repères qui me semblent essentiels pour le débat.

Un exploit technique, mais une dépendance structurelle

Gaindesat-1A, conçu en collaboration avec le Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM), est présenté comme un jalon dans la stratégie de développement technologique du Sénégal. Cependant, il est essentiel de noter que la plupart des technologies clés et de l’expertise proviennent de partenaires étrangers. Bien que huit ingénieurs et cinq techniciens sénégalais aient été formés, la dépendance du Sénégal envers des institutions étrangères pour la conception et le lancement de son satellite reste élevée. Cela soulève, bien évidemment, des questions sur la capacité du pays à développer de manière autonome ses futures missions spatiales.

En outre, la participation de SpaceX, via sa fusée Falcon 9, pour le lancement, met en lumière la place encore marginale des infrastructures sénégalaises dans ce projet. La création d’une véritable industrie spatiale au Sénégal nécessitera bien plus qu’un simple satellite ; elle exigera des investissements massifs dans la formation, la recherche et le développement de compétences locales. Sans cela, le Sénégal pourrait rester dans une position de dépendance vis-à-vis de ses partenaires étrangers pour les technologies critiques.

Quelles retombées économiques ?

Les responsables du projet ont souligné que Gaindesat-1A est destiné à servir une série d’agences nationales en fournissant des données cruciales pour la gestion des ressources naturelles, la surveillance de l’environnement et la gestion des catastrophes naturelles.

C’est, à titre d’exemples, le cas de la Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau (DGPRE), à laquelle Gaindesat fournira des données précieuses pour mieux gérer les ressources en eau du pays. De même, l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) bénéficiera de ce satellite pour améliorer les prévisions météorologiques et renforcer la sécurité aérienne. Enfin, l’Office des lacs et des cours d’eau (OLAC) pourra s’appuyer sur les données de Gaindesat-1A pour la surveillance et la gestion des lacs et cours d’eau du Sénégal.

Sur le papier, ces applications semblent prometteuses, mais leur mise en œuvre effective dépendra de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la capacité des institutions sénégalaises à exploiter ces données de manière efficace est encore à démontrer. L’expérience montre que de nombreuses initiatives technologiques en Afrique sont souvent freinées par des défis structurels tels que le manque de ressources humaines qualifiées et d’infrastructures adéquates pour le traitement et l’analyse des données.

Qui plus est, il s’avère encore incertain que ces données pourront être intégrées de manière fluide dans les processus décisionnels des institutions concernées. Une gestion efficace des données issues du satellite nécessite non seulement des compétences techniques, mais aussi une réorganisation des structures institutionnelles pour s’assurer que ces informations sont utilisées de manière stratégique.

Enfin, sur le plan économique, le retour sur investissement du programme spatial sénégalais demeure flou. Le coût total de ce projet, incluant la formation des ingénieurs, la conception, le lancement et la maintenance du satellite, dépasse probablement plusieurs millions d’euros. Dans un contexte où le Sénégal fait face à des défis économiques et sociaux pressants, comme la pauvreté et le chômage, la question se pose : ce projet est-il le meilleur usage possible des ressources limitées du pays ? L’économie sénégalaise, largement basée sur l’agriculture et les services, pourrait-elle bénéficier de manière significative de ce programme spatial ?

Enjeux géopolitiques et indépendance stratégique

Le lancement de Gaindesat permet également au Sénégal de se positionner sur la scène internationale comme un acteur émergent dans le domaine spatial. Cette démarche pourrait renforcer son influence en Afrique de l’Ouest, notamment en lui permettant de jouer un rôle plus actif dans la surveillance des ressources naturelles et des frontières. Cependant, cette ambition doit être confrontée à la réalité des capacités actuelles du pays.

L’espace est un domaine où les enjeux de souveraineté sont cruciaux. En lançant son satellite, le Sénégal fait un premier pas vers une certaine forme d’indépendance stratégique. Néanmoins, l’autonomie totale dans ce secteur reste un objectif lointain. La dépendance vis-à-vis de la technologie et du savoir-faire étrangers pourrait limiter la capacité du Sénégal à utiliser son satellite selon ses propres priorités stratégiques, notamment dans des contextes géopolitiques tendus.

Par ailleurs, le Sénégal pourrait devenir un partenaire attractif pour d’autres pays africains cherchant à développer des capacités similaires, mais il devra naviguer habilement dans ce nouveau paysage géopolitique. Des partenariats intelligemment négociés pourraient permettre au pays de renforcer sa position sans compromettre sa souveraineté.

Défis environnementaux et technologiques

Enfin, l’impact environnemental du programme spatial sénégalais ne doit pas être négligé. Le lancement de satellites, même de petite taille, contribue à la problématique croissante des débris spatiaux. Bien que Gaindesat-1A ait une durée de vie estimée à cinq ans et soit conçu pour se désintégrer après sa mission, l’accumulation de satellites en orbite basse pose des risques pour la sécurité spatiale. Le Sénégal, en tant que nouvel entrant dans l’arène spatiale, devra alors nécessairement s’engager dans des discussions internationales sur la gestion des débris spatiaux et sur les pratiques durables dans l’espace.

Sur le plan technologique, maintenir et exploiter Gaindesat-1A de manière optimale posera des défis constants. Les technologies spatiales évoluent rapidement, et le Sénégal devra s’assurer qu’il reste à la pointe pour maximiser l’efficacité de son satellite. Le développement de capacités locales de maintenance et d’innovation sera essentiel pour que ce projet ne devienne pas simplement une démonstration de prestige, mais un outil utile pour le développement national.

Nécessité d’une réflexion stratégique continue

En définitive, le lancement de Gaindesat-1A est sans conteste une prouesse technique et un moment de fierté pour le Sénégal. Cependant, pour que cet exploit se traduise en véritable succès, le pays devra surmonter des défis significatifs, notamment en matière de développement des compétences locales, d’exploitation efficace des données géospatiales, de retour sur investissement, et d’indépendance stratégique.

Ce premier pas dans l’espace, bien qu’important, doit être suivi par une réflexion rigoureuse sur la manière dont le Sénégal peut développer une industrie spatiale durable, autonome, et réellement bénéfique pour son développement économique et social. À cet égard, le Master Class organisé le 29 juillet 2024 par GéoSénégal en partenariat avec AKADEMIYA2063, et animé par le Dr. Racine Ly sur le thème “De l’espace au développement : Enjeux et Opportunités pour le Sénégal”, souligne justement l’importance de continuer à explorer les implications et les opportunités que cette avancée technologique pourrait offrir.

Le chemin vers une pleine maîtrise des technologies spatiales sera long et semé d’embûches, mais le potentiel de transformation pour le pays est immense. Seul le temps dira si le Sénégal saura saisir cette opportunité de manière judicieuse.

Publications similaires

3 commentaires

  1. Amadou Héros NGAIDE dit :

    Excellente contribution et pleines de recommandations fécondes au profit des acteurs institutionnels et scientifiques. Puisse cette contribution scientifique puisse en retour guider les acteurs dans leurs stratégies. Vous avez aussi un mot à dire en tant que géographe spécialiste des technologies numériques et du développement

  2. Dada Gueye dit :

    Article très enrichissant Dr Ibrahima Sylla, merci pour votre générosité intellectuelle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *