Le Président et les étudiants : Au-delà du paiement des bourses
Le Président et les étudiants.
Se réjouir de la mort d’une personne, en l’occurrence d’un jeune promis à un bel avenir, relèverait d’un cynisme indescriptible. L’étudiant Fallou Sène s’en est allé, laissant sa famille, ses camarades et la communauté universitaire dans le regret et l’amertume. La plaie est encore béante, d’autant plus que l’opinion publique attend toujours de connaître les responsabilités individuelles relatives au tir mortel qui a fauché cet étudiant le 15 mai 2018 à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Quoique des actes aient été posés par ce régime dont la responsabilité est avérée dans la mort de l’étudiant, l’issue de cette crise semble incertaine. Néanmoins, l’optimisme est plus que jamais nécessaire.
S’il était utile de le rappeler, il aurait fallu dire que la situation actuelle de nos universités est très peu enviable. De la mort d’un étudiant à la destruction de la mémoire (archives) et de l’infrastructure de base à l’UGB, il y a tout un patrimoine qui s’est effondré et des ambitions brisées. Le décor est si lugubre que la société toute entière espère une issue salutaire de la rencontre entre le Président de la République et les étudiants. A ces derniers, je n’ai presque rien à dire ; ils savent bien que c’est leur avenir qui est engagé. Mais au Président Sall qui s’étonnait du paradoxe entre l’ampleur de ses investissements dans le secteur de l’enseignement supérieur (plus de 200 milliards par an) et la consistance du désastre constaté, je souhaite transmettre trois ordres de rappel.
1) Les étudiants sont aussi des citoyens responsables. Ils sont respectueux des lois et règlements, tant que le minimum de respect qui leur est dû n’est pas chiffonné. Des retards ont souvent été constatés dans le paiement des bourses, or ils se sont tenus tranquilles dans leurs campus, se nourrissant parfois juste de dignité, en se gardant d’abdiquer ;
2) Payer des bourses aux étudiants à la manière dont on sert des graines aux pigeons est inacceptable. Laisser ces jeunes espoirs de la nation à la solde d’une banque privée qui les parque sous le soleil des artères de la ville, ça suffit. Leur dignité vaut beaucoup mieux que l’argent qu’on leur donne dans la souffrance. Personne n’ose agir comme tel avec les enseignants ou le personnel administratif, technique et de service (PATS). Les membres de la communauté universitaire sont d’égale dignité ;
3) En augmentant les droits d’inscription dans les universités publiques, il était convenu que les étudiants bénéficient en retour de meilleures conditions de travail. Il n’en est rien du tout ! Les collègues et moi avons encore des étudiants, même de niveau Master, qui s’agglutinent dans des salles de cours dépourvues des équipements adéquats. J’ai également, depuis plusieurs années, des étudiants qui se voient obligés de s’asseoir sur des blocs de pierres et des morceaux de briques cassées pour procéder à la recherche de courbes de niveau lors de nos séances de travaux dirigés. Sans parler de ceux et celles qui se tiennent debout ou qui courbent l’échine pendant quatre tours d’horloge, tout simplement parce qu’ils n’ont aucune place assise ou fonctionnelle.
Monsieur le Président, les étudiants vous diront, en vous rencontrant, que les problèmes qui plombent les performances de nos universités dépassent très largement l’affaire des bourses ayant occasionné une mort d’homme. Pour les résoudre, il convient avant tout que nous cessions tous de croire ou de faire croire à la société que tout va bien à l’Université, tandis que tout le monde sait à quel point nos systèmes sont grippés. Il sied également de rétablir un climat de confiance pour le dialogue et la cohabitation entre les acteurs concernés. Ce dernier point nécessite, en revanche, de la clairvoyance et du courage/ Il peut consister, très clairement, à se passer de ces super ministres dont la simple désignation suscite désormais de la colère ou de la révolte chez les étudiants.